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Chroniques
récital Amaury Breyne
Huré – Ibert – Koechlin – La Presle – Ravel – etc.
Une fois n’est pas coutume, commençons par évoquer la jaquette de ce vingt-troisième volume de la collection Les musiciens et la Grande Guerre [lire nos critiques des vol.2, vol.4, vol.5, vol.10, vol.11, vol.12 et vol.18]. La photo qui l’orne date de janvier 1916. Nous sommes à Paris, rue Le Peletier, dans la salle du gramophone du Cercle du soldat. Depuis le début du siècle, en effet, l’Armée cherche à enrayer les vices (prostitution, alcool) de ses nombreux conscrits inactifs (permission, hospitalisation) et propose, d’abord dans les casernes puis dans des foyers créés spécialement, des espaces dévolus à la lecture, au jeu et, bien sûr, à la musique, idéale panseuse d'âme. Les hommes blessés, on en estime le nombre à quatre millions durant le premier conflit mondial, lequel fut criminel avant même les affrontements, à en croire Pierre Drachline :
« Les conscrits des classes dites dangereuses et ceux des départements considérés comme les moins républicains furent ainsi favorisés en 1914 avec les troupes indigènes prélevées dans les colonies de l’empire » (in Pour en finir avec l’espèce humaine, Le Cherche Midi, 2013).
Des huit compositeurs réunis ici, nés entre 1867 et 1890, certains souffrirent jusqu’à plus soif, comme Jean Roger-Ducasse (pneumonique), Jean Huré (tuberculeux) ou encore Déodat de Séverac (urémique), et d’autres soulagèrent sans faillir leurs frères humains, au sein des services de santé : Jacques de la Presle, Albert Roussel (brancardiers), Jacques Ibert (anesthésiste), Charles Koechlin (infirmier) et Maurice Ravel (ambulancier). Deux nouveaux camps se dessinent parmi eux quand il s’agit d’écrire pour le piano : ceux qui exorcisent l’horreur martiale par une illustration tout en noirceur, ceux qui préfèrent l’échappée imaginaire, voire nostalgique, comptant sur l’archaïsme pour prendre du recul avec un présent douloureux.
D’abord élève puis professeur à Tourcoing, Amaury Breyne (né en 1979) s’installe au clavier d’un Steinway 1906 pour livrer brillamment des pièces écrites entre 1913 et 1919, d’intérêt et de durée variable (de 1’44 à 20’30), que nous évoquerons par ordre chronologique d’auteurs.
La Troisième sonatine Op.59 (Koechlin) est un paysage intérieur à la mélancolie bientôt assoupie, alors que Doute (Roussel), introspectif lui aussi, cède à l’inquiétude. En revanche, Les Naïades et le faune indiscret (Séverac) regorge de la fluidité impressionniste et ludique attendue, pièce d’une grande délicatesse consolatrice. Largement campanaires, les Variations sur un choral (Roger-Ducasse) offrent une succession de climats subtils, entre gravité souriante et exubérance apaisée. La tranquillité définit le Prélude (Ravel), aussi bref que fameux. Inédite au disque, la Deuxième sonate (Huré) se distingue par un ascétisme presque plus lumineux que morose. Petite berceuse (La Presle) est une page tendre, quand Le vent dans les ruines (Ibert) surprend par son enracinement dans un romantisme tardif.
LB